mardi 25 mai 2010

L'immobilier " charia compatible " est enfin déverrouillé

Prisé de longue date par des investisseurs islamiques désireux de diversifier leurs portefeuilles, cet actif profite de récentes instructions fiscales.

En pleine débâcle des marchés, les regards se tournent vers la finance islamique. Des actifs estimés à 500 milliards de dollars, qui pourraient doubler d’ici à deux ans…, cette perspective n’a pas laissé de marbre l’industrie financière qui tente d’attirer à elle ces investisseurs soucieux de placer leurs liquidités dans le strict respect des principes édictés par le Coran.



Si, en France, l’hôtellerie de prestige reste particulièrement recherchée par les émirats et les royaumes du Moyen-Orient, « de riches particuliers qui investissent aussi largement en fonds propres, les grands institutionnels de la région, et les banques islamiques contractent de la dette pour investir essentiellement dans l’immobilier de bureau et de commerce, développe Medhi Haroun, avocat associé chez Herbert Smith. Les opportunités de rendement offertes y sont plus séduisantes au regard d’un marché britannique devenu trop mature ».


Il y a deux ans, DTZ AM mettait ainsi en place un fonds paneuropéen pour la Dubaï Islamic Bank. Avec 150 millions d’euros de capacité d’investissement, ce fonds a déjà investi, selon les principes édictés par la charia (loi coranique), dans des immeubles de bureaux et des locaux d’activité en France et en Allemagne.
Dans la pratique, le Coran ne permet que le financement d’actifs exclusivement tangibles, ce à quoi répond l’immobilier, et proscrit tout investissement dans des sociétés liées au commerce du porc, de l’alcool, du jeu…


Lorsqu’un hôtel commercialise de l’alcool ou qu’une société de grande distribution vend de la viande porcine, « la jurisprudence islamique autorise qu’un pourcentage minime des flux (généralement inférieur à 5 %) provienne d’activités considérées comme illicites, explique Anass Patel, directeur stratégie et investissement chez DTZ AM. Ces flux sont alors isolés pour être extraits et redistribués à des associations caritatives et de bienfaisance ».



Des intérêts interdits

La loi coranique prohibe également l’usure. « L’interdiction de rémunérer le prêt d’argent, donc de percevoir ou de verser des intérêts, oblige à déplacer la relation acquéreur/créancier vers une relation investisseur/financier », explique Anass Patel. Le financement « shariah compliant » de l’immeuble impose ainsi qu’un acteur se glisse dans la relation vendeur/acquéreur.


Une société, généralement un « special purpose vehicle » (SPV), est créée afin d’acheter l’immeuble - moyennant la contraction d’un emprunt - et le revendre à l’investisseur musulman avec paiement différé du prix. C’est le principe d’achat/revente autrement appelé la « murabaha ». « Le prix de revente par le SPV correspond donc au prix de l’immeuble tel qu’il a été payé au vendeur, augmenté d’une marge », souligne Laurence Toxé, avocate associée spécialiste en fiscalité chez Norton Rose.


A l’image d’une vente à tempérament, c’est-à-dire d’une vente à crédit, l’acheteur rembourse par versements échelonnés cette société ad hoc, en pratique durant cinq à sept ans.


Si, sur un plan religieux, le mécanisme de la murabaha répond au plus juste aux impératifs de la loi islamique, sur un plan fiscal en revanche, sa pertinence est toute relative. Ici s’applique un double droit d’enregistrement sur les transactions : à la fois quand l’immeuble passe des mains du vendeur à celles de la société et quand cette dernière vend à son tour l’actif immobilier à l’investisseur final. « Pour éviter ce frottement fiscal, inhérent aux deux transferts successifs de propriété de l’immeuble, la SPV opte généralement pour le statut fiscal de marchand de biens, poursuit Laurence Toxé. La première transaction est alors exonérée de droits d’enregistrement. »


De nouveaux aménagements



Or, cette solution a également ses limites puisque pour bénéficier de ce statut, il faut répondre au moins à deux contraintes : réaliser au minimum deux opérations (conditions d’habitude) et acheter et vendre des actifs immobiliers dans le but de réaliser un profit, donc de spéculer. « Concernant le premier impératif, il est vrai que l’établissement créancier n’est pas toujours disposé à ce que le SPV abrite des opérations financées par d’autres banques, d’où la difficulté de réaliser plusieurs opérations successives », concède l’avocate de Norton Rose.


Par ailleurs, si facialement le profit existe bel et bien au niveau du SPV, il ne correspond pas économiquement pour sa plus grosse partie à la marge d’un marchand de biens, mais au prix du temps. Du coup, ce montage, bien que mis en place une dizaine de fois en France, n’était pas à l’abri de quelque requalification.


Mais dans le cadre du Haut Comité de place qui s’est tenu le 18 décembre dernier, la France, par la voix de la ministre de l’Economie Christine Lagarde, a apporté quelques aménagements et par là même positionné la place de Paris comme un partenaire de poids pour la finance islamique. « Les nouvelles instructions administratives permettent, dans le cadre d’une opération de murabaha, de présumer que les deux conditions d’habitude et de spéculation inhérentes au régime de marchand de biens sont remplies », souligne Laurence Toxé. « Et surtout, la première opération de vente d’une murabaha est exonérée des droits de mutation à titre onéreux de droit commun, pour autant que la revente soit réalisée dans les six mois », ajoute Medhi Haroun. L’investisseur islamique se trouve désormais fiscalement traité comme n’importe quel investisseur traditionnel.


C’est certain, les derniers verrous de l’immobilier « shariah compatible » ont bien sauté.

Par Valérie Riochet le 08/01/2009
www.agefi.fr

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